« Je traversais une petite folie quand même. Une petite folie ou une déconnade, appelle ça comme tu veux, un voile qui m’empêchait de voir la nudité des choses. »
Un écouteur assermenté recueille sur son calepin les confessions par gestes de Fabius Mortimer Bartoza, un sexagénaire parisien que des gendarmes ont retrouvé au petit matin en compagnie de sa poupée russe, juché sur la statue d’Henri IV, clamant à cœur et à cris vouloir fêter enfin son trentième anniversaire et entamer une nouvelle vie. Et nous voilà embarqués dans les méandres du passé de cette Sardine-sans-tête, sorte de nom de code que portaient les miliciens sous les ordres de tonton Keban, un sous-officier rebelle de l’armée nationale opposé au Président Yango-na-Yango, alias Sa-Majesté-la-Chose, pendant la guerre civile qui sévissait à Gombo-la-capitale : de la dictature du régime des Moustachus et de l’oppression des Bérets Rouges à son exil et son errance sur les pavés parisiens, en passant par ses amours, ses embrouilles et ses fantômes, Fabius Mortimer nous dit tout de la vie des hommes au carrefour de l’Afrique et de la France – et surtout l’indicible ?
Né à Brazzaville, Guy Alexandre Sounda est écrivain, conteur, enseignant, comédien, metteur en scène, animateur de radio. Son style d’écriture, le papotage congolois, une profusion de mots à fleur de peau dont la résonance révèle avant tout sa propre part d’ombre et de fragilité, est une forme de symbiose entre le drame, le poème et le conte.Il partage sa vie entre Paris et la Vallée d’Aoste où il a créé « Vues d’ici & Vents d’ailleurs », un festival international des arts solidaires, et compte à son actif plusieurs tournées en Amérique du Sud, en Afrique et en Europe, et de nombreux textes (articles de presse, chroniques, nouvelles, pièces de théâtre) dont Le Fantôme du quai d’en face, récit théâtral publié en 2009 au Québec. Confessions d’une Sardine sans tête, son premier roman, fait écho à la guerre militaire et civile qui a eu lieu au Congo-Brazzaville et nous raconte la dépossession de soi et la fragmentation de la conscience à travers l’itinéraire nocturne d’un ex-saigneur de guerre qui tente de s’extirper à coups de gnôle et de mots nus du piège dans lequel les errances de son passé jonché de douilles et de cadavres l’ont enfermé.
« La patte alerte et truculente d’un artisan du mot, d’un tailleur d’instants prescrits pour rendre compte des replis les plus fermés de la conscience humaine. Guy Alexandre Sounda me rappelle mes lectures arrosées du temps de mes incurables insomnies où je parvenais malgré tout à réinventer l’espace onirique au fil de Gabriel Garcia Marquez, Zapata ou Sony Labou Tansi. Cette maîtrise incontestée du matériau-mot pour décliner une esthétique résolument carnavalesque des commandements tropicaux fait de Guy Alexandre Sounda un témoin désormais incontournable pour mieux saisir l’âme tourmentée qui scelle la destinée des nations aux civilisations sapées et même sabordées par les hordes qui écument nos patrimoines… » (Juste Bembele, homme de lettres)
« Comme au bord d’un plongeoir, j’ai ouvert ce récit en pointillés d’un homme qui traîne un lourd passé de tueur, récit en pointillés d’un déraciné, pointillés aussi francs qu’absurdes, aussi sombres que brillants. Puis j’ai plongé dans cette langue aussi phraseuse que celle de Victor Hugo, au cœur de ce verbe aussi étincelant que celui de Prévert : une langue qui emprunte à toutes les époques pour mieux nous révéler la nôtre. J’ai nagé à côté de ces personnages humains et si lunaires, qui m’ont raconté au creux d’un sourire et au bout d’une larme les tréfonds de l’âme humaine, les errances de ceux qui en arrivent à tuer, et qui sont aussi ceux qui voudraient aimer. Ce fut une belle virée, un plongeon étourdissant dans ce monde si lointain, néanmoins viscéralement proche et semblable au mien… » (Yael Tama, auteur, pédagogue)
« Un roman plein de souffle où l’auteur se met dans la peau d’un écouteur en action pour éclairer le lecteur en action également et de l’éveiller à la complexité de l’âme humaine, à travers une épopée à la fois sombre et statique, comme pour mieux inviter à la lumière de l’espérance par le biais cependant de la révolte. Les mots sont à la fois réalistes et énigmatiques. Fabius Mortimer Bartoza, le personnage du roman, nous dit de manière crue sa propre révolte, ainsi que les souffrances de ses frères et la violence qu’il a étouffée depuis longtemps, pour remettre l’amour debout et le mettre sur la route de la nouvelle espérance, en prenant appui sur les liens qui unissent l’humain, dans ce qu’il a de sacré en lui, avec son propre monde. » (Marie-Françoise Carré, psychologue)
« J’ai embarqué à bord de ce roman pour un voyage tout à fait original qui m’en a bien plus appris sur l’Afrique de là-bas et d’ici que le Journal de 20 heures ou que les en-têtes du Monde diplomatique. J’ai aimé voguer dans la tête de cette étêtée. Je n’ai pas voyagé sur un navire de croisière, plutôt sur une chaloupe qui tangue tant et plus, n’épargnant aucun tumulte : meurtres, sexe, viscères et misères. Cette sardine n’est pas sans arêtes : elle a presque réussi à me faire perdre le nord, à me faire prendre le sud pour l’est, au point d’oublier qu’elle était africaine. J’ai aimé ce voyage parce qu’il est sincère… » (Rosette Zylbersztein, professeur)
Je reçois beaucoup de manuscrits, et je les parcours toujours en premier lieu en picorant à droite et à gauche des brins de texte. Cela me suffit déjà pour déceler un ton, très vite, et pour me décider à vivre une rencontre. Il me semble qu’une voix, lorsqu’elle est sincère et authentique, se fait toujours entendre sans détours. Car il est peu de puissances comparables à celle de l’expression d’une âme qui se dévoile. C’est cela qui nous touche, nous émeut, nous bouleverse. Derrière un texte, c’est toujours une personne que l’on rencontre – la littérature est une aventure humaine pétrie dans le beau et le vrai.
J’ai rencontré les Confessions d’une Sardine sans tête et par la même occasion son auteur, tapi dans les replis de ses mots, et cette rencontre fut magique. La suite n’a fait que confirmer ce que j’avais immédiatement pressenti : plus je conversais avec Guy Alexandre Sounda, plus je traversais son texte et parcourais ses multiples chemins, et plus le roman me dévoilait ses richesses. Le charme de sa langue au carrefour des cultures africaine et française, la fantaisie de sa fable, la mise à nu de la nature humaine. J’aime ce regard que porte Guy Alexandre sur l’absurdité de notre monde comme il va en tirant le meilleur de ce qui nous est donné de connaître, j’aime le bouillonnement de vie qu’il fait naître des ruines. Car il sublime le réel.
Un jour que nous discutions ensemble, il me confiait qu’il avait dû replonger dans les images, les mots et les maux de son enfance pour écrire son roman. J’imagine que cela a dû être très bouleversant, lui ai-je dit. Il m’a répondu : Ce fut surtout très douloureux. J’ai tout raclé, tout, tout ce qu’il y avait en moi, tout au fond, et tout ce qu’il y avait chez les autres, aussi, leurs souvenirs, leurs cicatrices, leur langage, tout. Et il avait conclu : Maintenant que j’ai tout raclé et que j’ai mis nos tripes sur la table, je peux enfin passer à un autre délire.
Les écorchures d’un homme et de tout un peuple sublimées en délire littéraire, drôle et fantasque, vous avez donc entre les mains ce trésor ; vous l’aimerez pour plein de raisons mais avant tout parce qu’il est un don magiquement généreux de la part d’un artiste de l’âme humaine, dont les délires sont des cadeaux.
M. M.
Il y a dix ans je me suis attablé dans un bistro parisien avec un sexagénaire seulet, le temps d’une causette en attendant mon train. De fil en aiguille, après quatre verres de vin rouge et une chanson paillarde, il m’a confié d’une voix sourde combien durant sa vie d’immigré il avait tenté en vain d’apprendre un métier, de se marier, d’avoir de vrais amis. Il n’y était jamais arrivé à cause d’une « cohorte de cadavres » qui bramaient dans sa tête dès qu’il mettait le nez dehors et marmonnaient sous ses paupières le soir, sitôt entré dans son lit à filet.
« Ce sont mes morts à moi, une trentaine de bambins que j’ai fusillés un après-midi à la sortie d’une école, du temps où j’étais milicien rebelle au bled ! »
Parlait-il sérieusement ? Je ne saurais le dire. Mais j’ai vu là matière à bâtir une fable faisant écho à la guerre militaire et civile qui a eu lieu au Congo-Brazzaville il y a vingt ans, dont nombreux sont ceux qui en portent encore les marques. Je m’en suis inspiré pour broder une trame à double tranchée : la dépossession de soi et la fragmentation de la conscience. L’étourdissante confession d’un ancien saigneur de guerre, transcrite par un écouteur assermenté, où s’entremêlent forfaitures, dénonciations, délires et hallucinations mentales.
Avoir écrit ce roman traduit aussi le besoin d’évoquer avec mes maux, sans objectif de justification ni éloge du crime, ces âmes muettes qui chavirent sur nos pavés et ces bras armés qui bousillent des vies entières dans leurs palais. Deux mondes qui ne se parlent plus que par des signes indistincts en dépit de leur belle envie d’aimer et d’exister au-delà des vents. Comme pour dire que l’homme est tout aussi capable d’écraser une rose que de planter des lucioles dans ses propres ténèbres.
Pendant presque une demi-heure, Fabius Mortimer Bartoza, alias Sardine-sans-tête, avait dansé torse bombé et yeux écarquillés sur une mélodie que lui seul entendait car la chambre aux murs gris, qui lui avait été allouée pour les besoins de la procédure, était silencieuse, une mélodie sûrement saccadée vu comme il remuait son bas-ventre tout à l’horizontale en dessinant avec ses pieds des cercles abrupts sur le plancher. Il dansait de colère, avais-je compris plus tard, une colère à te braver un fauve, comme disent mes parents. Je le guettais à travers l’œil-de-bœuf grillagé de la porte : il avait la soixantaine bien sonnée, le visage rondelet, des cheveux courts, un brin grisonnant, des épaules carrées, une barbe hirsute.
Puis il s’était recouché en chien de fusil sur son lit que je trouvais trop étroit pour ses jambes.
Je vous explique : il avait débarqué chez nous un vendredi matin vers dix heures, escorté par cinq gendarmes en civil. Chez nous, c’est-à-dire à Fidel Gastro, une sorte de centre de détention temporaire que le ministère de la Santé mentale a ouvert dans le nord de Paris, où je bosse comme « écouteur assermenté ». Ouvert pour des mal-dans-leur-âme, des écorchés vifs, des déphasés complets, des déficients mentaux, des déjantés chroniques, qui pour une raison x ou y se rendent coupables de turpitudes que notre société punit avec plus de fermeté qu’au siècle dernier.
Mon travail, c’est d’écouter ces gens du lundi au vendredi, entre dix heures du matin et dix heures du soir, avant qu’ils ne soient relâchés ou bien, selon les cas, envoyés devant un tribunal ou dans un centre spécialisé. J’écoute tout ce qu’ils disent, et notamment ce qu’ils n’auraient peut-être pas pu dévoiler s’ils s’étaient retrouvés dans des conditions différentes de celles que nous leur offrons : un repas chaud, un bain chaud, une boisson chaude, une oreille chaude et une chambre chaude. Je traduis leurs desseins, jauge leurs soupirs, scrute leurs regards, soupèse leurs mots. Un petit détail : je consigne tout ça sur un gros calepin vert que je remets le lendemain à mon patron qui l’envoie le surlendemain directement à son patron. Une fois rentré chez moi, je prends une douche, m’ouvre une bouteille de vin et me mets à écrire à ma façon, après avoir relu mes notes, ces histoires qui sonnent comme des romans ratés, des trames inachevées. Ça me donne la douce sensation, au-delà du fait que j’aime écrire, d’ajouter un grain de sucre à ces choses amères que dans le métro l’on entend d’une oreille distraite, ces petites choses qui n’arrivent qu’aux autres !
En me confiant cette énième mission, mon patron, un veuf grincheux et autoritaire, m’avait averti que le vieil homme était muet ou faisait mine de l’être pour ne pas être interrogé, et que je devais de ce pas utiliser mes compétences en grammaire de la langue des signes. J’en étais fier : en quatre ans d’écoute ininterrompue, c’était la première fois que j’allais me trouver en face d’un homme muet ou qui se faisait passer pour tel. J’ai appris la langue des signes en regardant des films muets allemands. Mes propres parents s’en étonnent encore : ils n’ont jamais su d’où je tiens ce qu’ils appellent « une curieuse passion pour le taciturne et le silencieux ». Je ne le sais pas, moi non plus.
J’ai toujours été captivé par tout ce qui ne parle pas, tout ce qui ne bouge pas, tout ce qui murmure du coin des lèvres, tout ce qui frissonne dans les arbres ou sur les rochers. Adolescent, après mes cours, je passais des heures et des heures dans ma chambre, les yeux cloués sur les photos en noir et blanc que j’avais placardées sur les murs, des photos d’ours dévalant des flancs couverts de neige ou de fureteurs perdus au milieu des vagues sourdes. Vous voulez que je vous dise mon principal hobby du dimanche soir ? Fureter dans le parc des Buttes-Chaumont, qui se trouve derrière mon immeuble, dans le 19e arrondissement de Paris, quatre heures après sa fermeture. Je passe toujours par un passage dérobé vers le côté nord, ouvert possiblement par des couche-partout, ces gens qui dorment où ils peuvent, entre un pan de mur et un kiosque à journaux, et m’assois au même endroit, au bout d’une allée fleurie, en bas de la falaise, tout près du lac. Il y règne un silence inouï ; même les mouettes rieuses, réputées babillardes, ne disent mot. On n’entend que le silence et rien que le silence des feuilles moites et des eaux froides, le murmure des pierres figées, le chuchotis du vent. Paris à cette heure-là ne ressemble plus qu’à une infinie prairie de lumières muettes, qui clignotent toutes les secondes…
Assez parlé de moi, revenons au vieil homme. Quand enfin j’avais tourné le bouton de porte et pénétré dans la chambre qui sentait la sueur, il s’était redressé d’un coup et m’avait regardé comme on regarde un oiseau qui s’envole au loin. Savait-il pourquoi j’étais là ? Indéniablement. Dès son arrivée, le régisseur lui avait notifié par écrit les griefs qui lui étaient reprochés : outrage à agent de sécurité, ivresse éthylique aiguë, destruction de monument public. En effet, les gendarmes l’avaient cueilli sur le Pont-Neuf, alors qu’il était juché sur la statue d’Henri IV, poussant des hurlements indéchiffrables, lançant des pierres sur les passants, brisant des bouteilles…
« Savez-vous, monsieur, que pour ça vous risquez jusqu’à cinq ans de prison ferme ? »
Très long silence. J’ignorais s’il n’avait pas appréhendé les quatre signes formulés avec mon index qui accompagnaient ma question, s’il cherchait ses mots ou s’il n’entendait pas me répondre. Il me regardait, l’œil dur et le souffle précipité. Combien de temps allait-il durer, ce mutisme ? Ne savait-il pas la langue des signes ? Je connais trois catégories de muets : ceux qui ont perdu leur voix très tard et se fatiguent à apprendre à parler avec leur corps, puis ceux qui sont nés muets et maîtrisent toutes les lettres de l’alphabet dactylologique, enfin ceux qui ne parlent ni n’entendent et se démiellent comme ils peuvent pour s’exprimer. À quelle catégorie appartenait-il ?
J’attendais qu’il me réponde. J’étais cassé. Je venais de passer six heures à écouter une dame que deux gendarmes avaient coincée en train de détaler avec dans les bras un bébé qu’elle venait de dérober dans une maternité familiale. Il avait fallu, après une foultitude de questions infertiles, que je lui enfonce mon pouce au fond de la gorge pour qu’elle me crache la triste vérité : son compagnon menaçait de la larguer pour de bon si elle ne lui donnait pas d’enfant, une fille aux yeux bleus de préférence. Toutefois, comme elle ne pouvait plus procréer en raison d’un énorme fibrome qui lui avait coûté son utérus, elle n’avait pas eu d’autre option que d’aller se servir dans une garderie familiale, à l’heure où les puéricultrices prenaient leur pause-clope. « Pourquoi n’avez-vous pas plutôt pensé à adopter ? » avais-je objecté d’une voix ferme. « Adopter ? J’aurais bien voulu, moi ! C’est lui qui ne s’en sentait pas capable, je vous jure ! Il voulait une gamine qui soit le fruit de ses spermatozoïdes. Alors, j’ai feint d’être enceinte pendant neuf mois et cinq jours, puis je suis allée me servir dans cette crèche. La suite, vous la connaissez, monsieur ! »
Comme je me demandais quelle ficelle j’allais utiliser pour dérouiller la langue du sexagénaire avant que n’expire ma patience, il s’était levé brusquement, avait ouvert sa valise de bois qui contenait quelques affaires dont une poupée russe qu’il avait serrée affectueusement contre lui. « Pourquoi nous ont-ils arrêtés, ma chère petite ? Je n’avais pas fini de célébrer mes trente noix ! » qu’il avait susurré avec ses deux auriculaires. D’une part j’étais soulagé de voir qu’il signait très bien et que j’allais enfin pouvoir l’écouter, mais d’une autre je me sentais contrarié qu’il ait parlé à sa poupée et non pas à moi, qui espérais qu’il me dise pourquoi il avait grimpé sur un monument public protégé et pourquoi il n’était pas rentré chez lui, se sachant saoul plus que de raison. « Répondez à ma question, monsieur ! » lui avais-je intimé d’un vif mouvement de lèvres.
« Ces gendarmes ont gâché mon trentième anniversaire ! Ça fait des lustres que j’essaie de le commémorer, la tête haute et le cœur bas, comme l’exige notre tradition, pour enfin passer à autre chose que cette éternelle rumination de cadavres et de glaire ! Des lustres qu’en vain je tourne les pages de mon lointain passé et que je m’use à oublier ce que je dois oublier et à ne retenir que ce que mes copains retiendront de moi lorsque de ce monde je m’en irai ! Que voulez-vous que je vous réponde ? J’ai perdu la voix sur le cheval d’Henri IV un matin de juillet, le jour de mes trente ans, à huit heures moins dix, après avoir traversé une longue nuit de sueurs, exhumé du fond de la brume de vieux souvenirs que j’allais enterrer sous mes souliers neufs, affilé les lames avec lesquelles je me préparais à couper à jamais les fils qui me tiraient dans les renfoncements de ma vie de bâton de chaise que je ne pouvais plus supporter. J’étais si près du but, malgré une fichue neige encroûtée que le ciel me chiait sur la gueule… »
Je n’étais pas sûr de comprendre le fil de sa pensée. Je l’avais brusquement arrêté et lui avais demandé de me faire des gestes brefs et beaucoup plus explicites.
« Je veux retrouver ma voix et changer enfin de voie ! Vous me saisissez ? C’est pourquoi tous les soirs, avec ma poupée et ma valise de bois, je refais le chemin que j’avais pris cette nuit-là, me remémore les paroles que j’avais sorties, les bruits que j’avais entendus, les senteurs que j’avais humées, les lumières que j’avais vues, les gens que j’avais rencontrés. Je veux refêter mes trente ans ! Vous ne comprenez donc pas, jeune homme ? Je voudrais arroser tous les jours mes trente cactus avec cette nouvelle eau-de-vie qui gonfle en moi, jusqu’à ce que ma parole renaisse et que mes mots se remettent à caracoler ! Ce matin vos gendarmes m’en ont empêché. Pourquoi ? En quoi monter sur le cheval d’un roi du passé empêcherait-il un passant de passer son chemin ou un matelot de conduire son navire ? »
De l’ébahissement j’étais passé à l’émerveillement. Ce vieil homme me rappelait le héros d’un film muet que dans mon enfance j’avais adoré et vu des centaines de fois : un matelot qui avait perdu la parole le soir de son mariage, au moment de passer au doigt de son épouse un anneau en diamant, et qui passait toutes ses journées à griffonner des métaphores sur les coques des bateaux. Ils puaient tous les deux cette folie larvée, qui habite ceux qui ont basculé du côté de l’obscurité où sanglotent des vents sauvages. Fabius Mortimer Bartoza s’était arrêté de parler, et m’observait attentivement pendant que je gribouillais des notes incertaines sur mon calepin. Je sentais son regard sur mes doigts frissonnants. Il devait sûrement se demander à quoi tout ceci rimait et où je voulais en venir. Peut-être ou peut-être pas. Pour ne pas perdre le fil de mon écoute je lui avais fait signe de continuer.
« Sachez, jeune homme, que ce cheval est plus qu’une sculpture de bronze posée sur un carré de béton et livrée à l’appétit saisonnier des touristes. En un clic il peut vous emmener jusqu’à l’endroit où se rejoignent les âmes et les eaux avant l’aube. En m’arrêtant, vos petits grippe-coquins m’ont fait manquer la seule fois où j’étais à cent pour cent certain de poser le pied à cet endroit magnifique. Ils m’ont brutalement descendu du cheval, traité de pilleur et pointé leurs fusils. Pensez-vous vraiment que Sa Majesté Henri IV m’aurait permis de grimper sur son cheval ou de m’accrocher à son dos s’il n’avait pas avalisé mon dessein et si surtout il n’avait pas entendu ma détresse ? »
J’étais confus. Je ne savais pas quoi répondre. Je reconnais que je n’avais jusque-là encore rien vécu de significatif dans ma vie de trentenaire parisien, accroché à son métro du matin et à sa bouteille de vin du soir. Je n’ai pas de copine. Pas d’amis non plus. Je vois mes parents deux jeudis par trimestre, leur apporte un bouquet de belles-de-nuit et quatre paquets de biscuits au chocolat. Ils adorent ça. Nous passons quelques heures ensemble à discuter d’un peu de tout, à lire des livres qui traitent de la nature humaine, des chroniques écrites par des gens qui ont vécu des vies biscornues. « Ça t’aidera à mieux comprendre les gens que tu écoutes, à ne pas t’emmêler les pinceaux lorsque tu rédiges tes rapports », m’encouragent-ils. Ils ont raison. Néanmoins je croyais, grâce à mon sens de l’observation et à l’acuité de ma déduction, en savoir suffisamment sur les différentes tournures de la vie et les virages qu’il arrive souvent aux hommes de prendre selon les choix qu’ils font eux-mêmes, et ceux qu’on leur fait prendre. L’intrication de l’histoire de Fabius Mortimer Bartoza m’avait fait reconnaître que j’étais encore loin du compte, et qu’au lieu de seulement transcrire ses mots entortillés sur mon calepin je devais au contraire l’aider à faire jaillir cette parole qui remuait vivement dans sa gorge. L’entendre dire que tous les jours il remontait le temps et creusait dans les tréfonds de sa mémoire pour exhumer la nuit de ses trente ans m’avait désarçonné.
J’étais sur le point de tapoter mon auriculaire droit contre ma tempe pour lui signifier que je continuais de réfléchir à sa question que je trouvais somme toute perspicace, voire peut-être trop, lorsqu’en même temps il avait pointé son annulaire sur la pendule murale. Il s’était passé quelques secondes avant que je ne comprenne que le vieux m’indiquait l’heure : dix-sept heures moins un quart.
« C’est à cette heure-ci que tout a commencé. Il faisait beau dans ce parc, nous étions en été bien sûr, les femmes resplendissaient, les hommes plastronnaient… »
Tout en continuant de parler avec ses mains et son visage à la fois, Fabius Mortimer avait remis son manteau jaune et sa perruque gothique noire, s’était assis sur la banquette qui trônait au fond de la chambre, en dessous de la fenêtre coulissante. Puis il s’était tu une seconde, les yeux lointains, et avait ensuite serré davantage sa poupée dans ses bras, avant de reprendre calmement. J’avais compris tout de suite qu’il remontait le temps : ses paroles sonnaient comme une confession à huis clos, à une heure tardive de la nuit. Je n’ai eu d’autre choix que de ranger la trentaine de questions que j’avais préparées, de m’avancer vers lui et de me mettre à transcrire fébrilement les mondes qu’il était en train d’enfanter sous mes yeux : monde assis sur des bancs, monde couché sur d’autres mondes, monde criant de soif dans des gorges humides, monde des créatures tourbillonnaires et des ombres vaporeuses, monde des silhouettes éphémères. Le temps courait. Je ne m’en rendais même pas compte. Le vieil homme s’arrêtait par moments, me lançait un coup d’œil complice, ajustait sa perruque, buvait une gorgée, puis reprenait. J’avais l’impression d’être assis dans un théâtre d’ombres et de murmures, devant un acteur qui interprétait le rôle de sa vie…
Bienvenue dans mes bras, chère petite. Que faisais-tu sous ce gradin, au milieu des mégots et des canettes ? Il devait avoir la tête dans les nuages, celui qui t’a oubliée là. On n’oublie pas une poupée russe en porcelaine vêtue de soie. Je m’appelle Fabius Mortimer Bartoza. Et toi ? Cette nuit je célèbre mon anniversaire. Je veux dire « toute la nuit » jusqu’à demain matin à huit heures moins dix. Pourquoi huit heures moins dix ? Je suis né un samedi cinq juillet à cette heure-là. J’aurai trente goyaves, l’âge que venait d’avoir papa au moment de mourir d’une balle de dix grammes dans le crâne. Quoi ? C’est une trop longue histoire qu’en une minute je ne peux pas te raconter. On verra plus tard. Ah, tu trouves que je fais jeunot ? Merci. C’est que j’ai la peau dure. Tout glisse sur mon corps : les années, les saisons, la dépression, les papillons noirs, la mouscaille, les exaspérations. Ce n’est pas donné à tout le monde, avoir trente poires dans le gosier sans une seule bouffissure. C’est un bel exploit. Les gens de mon âge que je vois sur les terrasses des cafés font tous usés : il y en a qui ont la tronche déboutonnée et d’autres des jambes qui vacillent. Tous veulent savoir comment je fais pour être aussi flambant et félin. Je leur réponds toujours que c’est grâce à la rumba et au rhum ambré, parce que la rumba, ma chère petite, te fait respirer le nombril, un nombril qui respire est une âme qui pétille, et le rhum ambré t’apporte des fibres inaltérables dans les guiboles. Beaucoup ne me croient pas. Ils disent que je délire. J’en ris. Ils ignorent simplement qui est Fabius Mortimer : il vient du Gombo, petit pays de quatre millions d’âmes qui se bourraient la gueule du soir au matin dans des boîtes-à-rumba, où les bambins fabriquaient des fontaines à eau avec des bouteilles de rhum vides. Quoi, tu n’en as jamais entendu parler ? Ça ne me surprend guère. Même sur la carte on ne le voit que difficilement, il faut froncer les sourcils et cligner les yeux. On en devient presque myope. De loin on le prendrait pour un insignifiant point noir que par étourderie les cartographes auraient griffonné entre les ravins gabonais et les collines angolaises. J’ai longtemps considéré que nous n’étions qu’une erreur de cartographe, même quand nous nous faisions courtiser à longueur de temps par les courtiers du monde entier pour nos puits de pétrole et nos gorges de diamants.
J’ignore comment respirent les choses là-bas maintenant et ne veux pas non plus le savoir !
Tu sais, une fois les amarres larguées et les ponts coupés on tente de se bâtir une autre vie. Ce n’est pas facile. Parfois je sens le sol craquer sous mes pompes et le monde se dégrafer autour de moi. Je me mets à courir pour ne pas tomber dans le gouffre du passé où luisent ces laideurs qui ont fait de moi le zigoto que je suis. Mais comme je ne peux courir indéfiniment, faute de souffle, il m’arrive de m’immobiliser ou bien de fermer les yeux. C’est là que tout s’allume dans ma tête…
Les trains qui ne partaient jamais à l’heure, les jeunes qui picolaient pour ne pas crever de désespérance, les vins que l’on tirait à la kalache avant même qu’ils n’aient été goûtés, des avions qui se cassaient sur les toits et dont jamais on ne retrouvait les restes, des destins qui se brisaient le nez contre les murs d’une société qui devenait de plus en plus assourdie, de plus en plus amorphe, nos rêves de gosse qui ne sortaient jamais de nos gorges de gosse et que nous étranglions au saut du lit, nos vies battues à mort par un quotidien qui crânait dans les rues avec une cravache en cuir, nos cris déchirés que les cieux semblaient ne plus vouloir entendre, nos rires noyés dans les eaux usées de la République, notre sempiternel Président, le camarade Yango-na-Yango, alias « Sa-Majesté-la-Chose », féru de fromage au lait de jeunes femmes vierges, qui nous menait à la baguette depuis trop longtemps sans que le monde ne lève son petit doigt. Le monde nous avait tendu le dos : nous nous demandions chaque matin quand il allait se retourner pour voir les peines que nous endurions, la sueur des autres que nous buvions, les mots vains que nous tricotions dans nos crânes d’enragés, les kilomètres et les kilomètres de prières à Dieu le Père que nous hurlions tous les dimanches. Mais le monde ne se retournait pas, il se consacrait à ses propres mondes desquels nous ne faisions pas partie, ces mondes curieux qui nous inondaient de voitures d’occasion, de bouquins d’occasion et d’habits d’occasion. Nous nous sentions des gens à part, des gens du bout de la terre, ceux à qui le monde refilait des bribes de vie ingurgitées et recrachées par les autres, empaquetées dans des cartons de loto et des sachets de bonbons. Nous faisions mine de croire que tout irait mieux avec le temps, que des rêves moirés remplaceraient nos cauchemars, que nos nuits seraient moins longues, que de l’eau potable coulerait derechef de nos robinets. En vérité nous n’attendions plus rien. Tout était cadenassé, à commencer par l’Armée nationale gomboloise dont plus de la moitié des généraux et des caporaux venaient de Mabola, petit village de pêcheurs de silures, confiné au nord du pays entre une vasière et une lande, où Sa-Majesté-la-Chose avait vu le jour bien avant l’indépendance, certains disant qu’il était né le même jour que Hitler et que c’est à cause de ça qu’il portait la moustache et qu’il imitait les mimiques du Führer. Ensuite les quatre cent dix-huit fauteuils de l’administration territoriale qu’occupaient depuis le premier changement de la Constitution les neveux et arrière-neveux de Fiona Yango-na-Yango, la première dame de la nation, gardienne patentée des gris-gris du Président. Puis les cinq cent huit puits de pétrole gérés par une société indienne de forage, elle-même managée à la louche par Kasou Ngueko, fils aîné de la quatrième maîtresse du Président.
Je hais ce passé-là : il abonde de creux gadouilleux où je risque de sombrer chaque fois que je m’y promène. Je préfère mon présent, même si pour le moment il n’est attifé que de défroques, au moins je peux le saisir, le clouer sur mon mur, le regarder de près, lui sommer de se magner les fesses et lui casser la gueule en cas de refus. Tandis que ce passé-là… Impossible de le changer ni de le défaire. Je me contente de contempler ses panneaux couverts d’images de mes vies de naguère, ses bocaux qui contiennent la somme de mes maux, comme le visiteur tardif d’un musée de verre, un musée inviolable, en quelque sorte.
C’est effarant, chère petite, comme la vie passe aussi vite qu’une hirondelle de printemps !
J’aurai trente pistaches demain. Tu te rends compte, trente pistaches dans la tête, sur mes épaules, entre mes jambes, dans mes mains, sous mes aisselles, dans mes reins et mes yeux, sous ma langue, dans les pliures de mon âme, partout jusqu’au fond de mes narines ! C’est lourd tout ça ! Mais, curieusement, je ne sens rien. Je m’attendais à une douleur quelconque, un picotement quelque part, le long de la colonne vertébrale, entre le cœur et la rate. Je me sens comme un habit neuf. La seule chose qui me chagrine un peu, c’est d’être cloué sur ce banc, de tourner dans ce parc, de parler tout seul, de ne pas sauter plus haut que ces tours, et d’alpaguer les passants dans la rue et leur crier que demain c’est le plus beau jour de ma vie et que plus rien ne sera comme avant. Je ne peux pas faire autrement. Je crains qu’il ne m’arrive un truc en sortant d’ici, un truc fatal : un canif dans le bedon après une vague discussion avec un inconnu, un pot à fleurs lancé sur ma tête du haut d’un balcon par un retraité engourdi, une rafle inopinée d’immigrés sans-papiers, un trou béant sous mes pieds au moment de traverser la chaussée. Tu comprends ? Quelque chose qui m’empêcherait de croquer les trente noix de cajou que je garde exprès dans ma valise pour demain matin, de me vider la tête et de passer calmement à la seconde moitié de ma vie. C’est pourquoi je tourne en rond dans ce parc. Ne va pas penser que je ne suis qu’un paranoïaque qui se fait des idées noires, le rêve que j’ai eu cette nuit n’augurait rien de bon, il m’avait tout l’air d’une prémonition : il était quatre heures du matin, je revenais d’un barbecue organisé par un de mes copains sur le canal de l’Ourcq et je chantais la chanson de Gavroche avec cinq bouteilles de vin sur ma tête, elles tenaient bien, mais juste au moment où je me suis retourné pour voir le bateau qui passait bruyamment, mon pied gauche a trébuché, mes bouteilles sont tombées, j’ai alors entendu sourdre de l’eau un gros rire railleur et, cerise sur le gâteau, je me suis coupé un majeur en voulant ramasser les débris et essuyer mes souliers rouges de vin.
Je sens que derrière ce cauchemar d’apparence anodine figure une tragédie qu’entend ourdir le malin génie contre moi pour me casser ma nuit !
Tu sais ce qui m’aurait fait grand plaisir au moment où je nous parle ? Déguster mon rhum jusqu’au fond de la bouteille, m’abandonner tout entier à l’ivresse qu’il procure, espèce de va-et-vient entre délire et raison au milieu des oies sauvages et des algues fluorescentes, m’allonger là jusqu’à demain matin, boulevarder sur les Champs-Élysées avec l’allure d’un type qui gère des dossiers importantissimes. Mais je ne peux pas. Je dois sonder les silences, chacun de mes silences, puis tâter mon cœur pour vérifier qu’il bat comme il faut, ensuite regarder autour de moi et derrière moi. Demain n’est plus loin…
Est-ce que tu vois le nabot à poil, assis là-bas, devant le panneau d’entrée du parc ? Il est là depuis que je suis ici, c’est-à-dire depuis cinq jours, et personne ne lui a encore dit d’aller étaler ses burnes ailleurs. Nous sommes dans un parc. Il y a des enfants qui jouent dans le coin. Où sont donc passés les gardiens ? Je l’ai vu entrer la tête baissée, il portait un grand boubou en soie paré de trèfles de crin. C’est à ce moment-là que j’aurais dû changer de place, car dans notre coutume on dit : « Avoir dans ses pattes un nabot affublé de noir est synonyme de malheur. » Mais j’ai continué à papoter dans ma tête, les yeux fermés. Quand, deux heures plus tard, je me suis levé pour pisser un coup, je l’ai vu se déshabiller à toute vitesse, comme s’il avait été piqué par une guêpe. Ça m’a fait seulement pouffer. J’ai eu tort. Depuis, il n’a pas arrêté de me surveiller, de me scruter, de m’observer, de m’espionner, de me dévisager. Que me veut-il ? Si au moins dans sa main il tenait une bouteille ou une canette qu’il se fourrerait discrètement dans la bouche, j’aurais pensé n’avoir affaire qu’à un ordinaire alcoolo ayant perdu quelques boules, comme on en voit dans ce quartier, et serais moins inquiet, tu comprends ?
« Pourriez-vous me dire pourquoi vous me dévisagez depuis cinq jours et cinq nuits ? »
Gros silence. J’espère qu’il ne me prend pas pour le bouffon du jardin ? Il ne m’a peut-être pas entendu. Je vais élever la voix, moduler le ton, me mettre debout : « Eh, mon frère, qu’est-ce qui te prend à me guigner comme ça, dis-moi un peu ? »
Pas de réponse. Il feint de ne pas m’entendre. Quoi, il se prend pour le plus malin des futés parce qu’il a les couilles à l’air et les poils au vent ? « Sachez, cousin, que je ne suis ni un bouffon ni un individu bouffable et que je n’ai pas l’intention de me laisser lasser par un vulgaire nudiste qui se serait trompé de piste, alors qui que vous soyez et d’où que vous veniez, je vous ordonne de me foutre la paix, vous ne me connaissez pas et je ne vous ai rien fait non plus, puis en plus nous ne nous sommes jamais rencontrés avant ! »
Oh, mince, tu as vu comme il m’a tiré la langue, ce quignon de sa maman ? J’ai envie d’aller lui arracher les poils et de lui dire combien je l’exècre, mais ça ne me coûtera que des emmerdes. Ignorons-le. Il s’en ira lorsqu’il aura assez bouffé ses heures de soleil.
Cette nuit va être longue. Je le sens. Mais il ne faut pas que tu t’en fasses. Surtout pas. Elle passera. Tout ce qui pousse sur terre passe, disait ma mère. Tout : les emmerdeurs, les fantômes, les saisons, les pluies. Rien ne résiste à l’usure du temps et à la vitesse du vent. Et si le nabot ne s’en allait pas ? C’est très simple : je me déshabille, puis je vais le voir. Une fois à sa hauteur j’ouvre son oreille gauche et lui assène : « Je suis un ancien milicien rebelle qui trimbale dans sa calebasse des centaines de cadavres furieux ! » Il prendra peur et filera chez lui…
Je conçois que tout ceci te semble étrange, mais la vie n’est-elle pas elle-même une étrangeté autour de laquelle nous toupinons comme les jouets d’un manège, poussés par le vent et le hasard ? Si tu savais comme je suis las de vivre tout le temps d’embrouilles et de broutilles. Tout le monde a son caniche sauf Fabius Mortimer. Tout le monde a son tacot pour les courses de la semaine, son vélo pour les promenades, son chapeau pour les coups de chaud, son magot pour les jours difficiles, son bateau pour les vacances en mer. Moi ? Je n’ai que des sueurs, que des regrets, que des colères, que des frustrations. Je serais déjà mort si je n’avais été une Sardine-sans-tête !